L’agriculture : une histoire de cultures

C’est Virgile qui le premier dans les Géorgiques, véritable traité d’agriculture et d’écologie écrit 37 ans avant notre ère, célèbre la beauté profonde de la nature, enracine sa pensée dans le « terreau sacré des dieux », souligne les « liens qui nous unissent aux végétaux et aux animaux. »

Le rapport entre le culte et la culture du mot agriculture persiste jusqu’au Grand Siècle où Olivier de Serres écrit une véritable « Bible agricole » en 1600, encore étudiée aujourd’hui dans Le Théâtre d’agriculture et ménage des champs. Il y décrit « une science plus utile que difficile, pourvu qu’elle soit étendue par ses principes, appliquée avec raison, conduite par expérience et pratiquée par diligence ».

Quelques années plus tard, c’est Voltaire qui dans un long poème à Madame Denis conseille : « c’est la Cour qu’il faut fuir, c’est aux champs qu’on doit vivre ». Diderot enfonce le clou en 1755 : « méfiez-vous de l’indolence, de la négligence, évitez le luxe, regardez l’agriculture comme la ressource la plus importante ».

Voltaire, encore lui dans un accent prophétique que ne renierait pas notre Président quand il parle de souveraineté alimentaire : « Il est d’autant plus nécessaire de songer aux richesses de la terre que les autres peuvent aisément nous échapper, la balance du commerce peut nous être défavorable, nos espèces peuvent passer chez l’étranger, les biens fictifs peuvent se perdre, la terre reste. »

Mais c’est au XIXème siècle que les auteurs s’emparent véritablement de l’agriculture pour en faire la source de leurs essais où le thème principal de leurs romans : George Sand, Honoré de Balzac, Victor Hugo, Stendhal, Gustave Flaubert et Émile Zola décrivent une France rurale diversifiée avec un souci de relater avec exactitude la vie paysanne : les machines à faucher, à moissonner et à battre font leur apparition, la disposition de l’habitat, l’organisation du travail avec le début du partage des taches ; tout y est décrit avec minutie dans ce que l’on nommera le Roman rustique et qui se veut d’abord géographiquement localisé.

George Sand est très attachée à son Berry natal, Balzac décrit le Morvan mais c’est Zola qui est le plus précis dans son roman devenu célèbre, la Terre. Il entend : « la Beauce boire, cette Beauce sans rivières et sans sources, si altérée, si riche par la fertilité de son sol où les fermiers récoltent ordinairement 7 sacs par arpent » … « une mer blonde …. Rien que du blé, sans qu’on aperçu ni une maison, ni un arbre, l’infini du blé » ; et décrit les rapports sociaux au travers des profils psychologiques de ses personnages.

Plus près de nous, le philosophe Michel Onfray relate dans une émouvante préface de Cosmos, tout ce qu’il doit à son père, ouvrier agricole : « sans le savoir, il m’apprenait ainsi, non par des leçons ostentatoires, mais par l’exemple, que le temps dans lequel il vivait était celui de Virgile : le temps du travail et le temps du repos, … le temps des travaux des champs et des abeilles, temps des saisons et des animaux, temps des semailles et des récoltes, temps de la naissance et temps de la mort … »

Mais c’est le philosophe Michel Serres qui s’est le plus engagé envers ceux qu’il appelait les « pères nourriciers de l’humanité ». « Avant tout, je dis aux paysans que je les plains, sans la moindre condescendance. Ils font un métier difficile, encore plus difficile qu’il ne l’a été autrefois, même s’il est devenu aujourd’hui moins pénible, un des métiers les plus difficiles avec celui d’enseignant et celui de médecin. Ces trois-là œuvrent sur le long terme, ils aident les humains à se forger un avenir. Cependant, ils agissent dans un monde manœuvré par les hommes du court terme : le politique mobilisé par l’échéance électorale, le médiatique ébloui par l’actualité, le financier anxieux de prendre ses gains. Face à ces puissances, les paysans n’ont même plus l’avantage du nombre ». Tout est dit et jusqu’à la fin de ces jours, il a milité pour la mise en place d’une « exception agricole » qui sortirait le blé et le riz du système boursier.

Bien d’autres écrivains pourraient être cités (La Fontaine …) mais en guise de conclusion laissons la parole à l’académicien qui a le plus étudié et écrit sur l’économie agricole. Citons, Voyage au pays du coton, l’Avenir de l’eau, géopolitique du moustique. Erik Orsena : « Notre époque est engagée dans un vertige de transitions. Des transitions qui toutes, climatiques, énergétiques, numériques, immobilières, sociales, toutes, ne peuvent que se donner la main. Mais n’oublions pas ceci : comment voulez-vous qu’un pays se bâtisse un avenir digne sur une déchirure aussi profonde entre ses habitants et ceux qui les nourrissent ? Agricultrices, agriculteurs, vous méritez d’abord notre respect. Ne serait-ce que pour cette seule petite raison de bon sens : d’abord et à jamais, pour vivre nous dépendons et dépendrons de vous ».

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