Nous devons saisir l’opportunité formidable que nous offre notre époque

Publié le 28 Juin 21

Hervé Pillaud, ancien agriculteur en Vendée, vient d’écrire son troisième essai : “Cultivons l’avenir ensemble, (ré)concilier agriculture et société” (éditions de la France Agricole, 19,90 €). L’occasion de revenir avec lui sur son parcours et d’entrouvrir les portes du futur pour l’agriculture.

Quel fil conducteur lie vos 3 essais, dont les deux premiers étaient consacrés au numérique en agriculture ?

Hervé Pillaud : Mes deux premiers livres étaient liés par l’intérêt du numérique en agriculture. « Agronuméricus » (en 2015) avait pour objectif de décrire, de la manière la plus exhaustive possible, les usages du numérique en agriculture et « AgroEconomicus », deux ans plus tard, était pour sa part beaucoup plus prospectif. Je pense être le premier à avoir parlé, par exemple, des possibilités que peut offrir la blockchain en matière de traçabilité, contractualisation ou encore en matière de gestion des risques.
Avec le livre « Cultivons l’avenir ensemble, (ré)concilier agriculture et société », je souhaite donner les clés de lecture des enjeux de l’agriculture à la fois de manière globale et locale car tout se tient.
Ce qui lie ces trois essais, c’est le regard d’un agriculteur engagé : engagé dans ma profession, engagé sur mon territoire, engagé au service des autres. J’ai été dix ans secrétaire général de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles et de la Chambre d’agriculture de Vendée, cofondateur d’une des plus importantes association d’irrigants de mon département avec des process très novateurs ; je préside le Groupe Etablières, un groupe de formation au service de son territoire.
Très engagé pour une vision du numérique en commun, j’ai siégé deux ans au conseil national du numérique et co-créé Digital Africa, sous l’impulsion du président de la République, pour construire avec les Africains un numérique au service de tous. Tout cela m’a conduit à me déplacer beaucoup en Afrique et un peu partout dans le monde pour travailler aux usages du numérique pour toutes les agricultures. C’est finalement ce parcours qui m’a permis d’écrire ces trois ouvrages, de contribuer à trois autres avec vraisemblablement une envie de transmettre !

Quels messages essentiels souhaitez-vous faire passer dans votre dernier ouvrage ?

Hervé Pillaud : L’agriculture vit de profonds bouleversements et se trouve un peu à la croisée des chemins. J’ai essayé dans ce livre d’être le plus exhaustif possible pour donner des clés de lecture sur ce qui me semble être les réalités de l’agriculture.
Dans une première partie, j’aborde les éléments de contexte : les relations de la société avec son agriculture, l’évolution de la perception qu’en ont nos concitoyens, le contexte de la mondialisation, des évolutions démographiques, de la santé globale et de la planète.
Je consacre ensuite toute une partie aux évolutions des comportements alimentaires, de leurs impacts présents et à venir sur la production et du nécessaire alignement entre les deux.
La troisième partie du livre a pour objectif de démontrer que, si l’agriculture est l’affaire de tous, c’est par ses actes et non par des injonctions que chacun doit s’impliquer.
J’aborde ensuite les pistes d’évolution de l’agriculture, de régénération des sols jusqu’aux nécessaires évolutions de la recherche et de la formation en passant par l’appréhension de l’innovation et des nouvelles technologies. Celles-ci permettront de tracer ce que j’appelle la nécessaire écologisation de l’agriculture pour gagner en productivité, en étant plus en symbiose avec notre planète. Trois prérequis sont pour cela essentiels : accepter d’admettre qu’il faudra du temps (c’est pour ça qu’il faut s’y mettre tout de suite), privilégier d’amener 80 % des agriculteurs dans 80 % de démarches plus « vertueuses » plutôt que de viser des objectifs difficilement atteignables par la majorité et enfin se donner les moyens d’y consacrer beaucoup d’argent.
Pour conclure je propose quelques pistes pour y parvenir, notamment la mise en œuvre de territoires à missions.

Vous venez de céder votre exploitation laitière. Comment envisagez-vous ce virage ? Pensez-vous désormais consacrer davantage de votre temps disponible à l’écriture pour partager vos réflexions ?

J’ai cédé mon exploitation en janvier 2020 sans trop me poser de questions sur l’avenir. L’adaptabilité et l’engagement sont sûrement deux éléments qui me caractérisent. S’il est une chose que je n’envisage pas, c’est celle de rester à ne rien faire. Je consacre beaucoup de temps à ce que j’aime appeler « mon école » : le groupe Etablières. Avec un conseil d’administration et une équipe de collaborateurs dynamiques, nous essayons de développer une offre au service du territoire et de ses habitants, comme nous le permet la loi sur l’enseignement agricole au travers de ses cinq missions : l’enseignement, l’inclusion, le service au territoire, la recherche et l’ouverture à l’international.
Nous devons saisir l’opportunité formidable que nous offre notre époque ! Nous sommes entrés dans une période de renaissance de nos sociétés, tous les ingrédients y sont : une nouvelle appréhension du monde qui émerge, une période de grande créativité, de nouvelles formes de violences, des innovations de rupture et des certitudes qui volent en éclat. Face à ce constat, fort des enseignements que m’a donné la vie et les formidables rencontres que j’ai pu faire de ma Vendée natale jusqu’au cœur de l’Afrique en passant par le contact de communautés aussi différentes que ce que l’on appelle, non sans dédain « les bobos » ; de mes collègues paysans aux quatre coins du monde ; de dirigeants politiques et d’entrepreneurs de tous genres ; je me façonne ma propre opinion que j’essaie de passer à la génération qui vient, celle de mon petit fils Louis à qui j’ai dédié ce livre.
Je suis conscient de vivre à une époque exceptionnelle, celle de cette renaissance qui s’amorce. Il nous est offert de poser les premières pierres d’un monde nouveau avec l’ambition et l’humilité des bâtisseurs de cathédrales : l’ambition d’apporter notre pierre à un magnifique édifice mais l’humilité d’admettre que ceux qui en posent les premières pierres n’iront pas déposer le coq sur le haut du clocher.
Quelles formes prendra pour moi, demain ma contribution à cet édifice, est-ce que ce sera l’écriture ? Peut-être !

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