Un peu de la mémoire régionale sous les sabots

Publié le 28 Juil 22

Ingénieure écologue de formation, Delphine Danat s’est tournée depuis quelques années vers l’élevage d’ânes catalans. Installée à Ponteilla, dans les Pyrénées-Orientales, elle souhaite, avec son activité, participer à la conservation de la mémoire de l’histoire régionale, dans le cadre d’une démarche agroécologique.

« Avec ma formation, j’ai longtemps travaillé en ingénierie pure. Passionnée par les ânes, je me suis lancée dans l’élevage d’ânes catalans, il y a une dizaine d’années » détaille Delphine Danat. Le choix de cette race en voie d’extinction n’est pas innocent. L’histoire occupe une grande place dans la motivation de l’éleveuse. « Devant les incertitudes de l’avenir, nous avons besoin de connaître notre histoire, comment nos ancêtres ont vécu, comment ils ont façonné notre paysage. C’est une nécessité de le savoir pour être sûr de ne pas se tromper sur ce que nous faisons et d’avoir une ouverture sur le futur ». En termes d’agriculture, Delphine Danat juge indispensable d’appréhender l’histoire du lieu. Ainsi, elle fait appel à des historiens locaux lorsqu’elle organise des visites pédagogiques de son élevage.

Un domaine aux évolutions progressives

Le domaine de l’Asinerie Kuleni s’est développé au fur et à mesure de la mise en place de nouvelles activités. « Après la constitution de mon élevage, la transformation et la vente directe du lait ont constitué la première phase de développement » témoigne Delphine Danat. L’élevage entraînant la production de lait d’ânesses et afin de le valoriser, Delphine Danat a commencé par développer la transformation cosmétique et la vente de savons. Par ailleurs, la composition du lait d’ânesses s’avère la plus proche du lait de la femme et peut jouer une fonction thérapeutique intéressante. L’éleveuse commercialise alors son lait pour répondre à des urgences pédiatriques pour les nouveau-nés en manque d’immunité naturelle, ou pour soigner des maladies inflammatoires de l’intestin ou bien encore pour accompagner les traitements de certains cancers.

« Les ânes étant destinés à travailler en agriculture, il était nécessaire de les y former. Pour cela sur un terrain d’exploitation et de dressage, j’ai été amenée à développer le maraîchage sur un demi hectare » poursuit Delphine Danat.

Approfondissant sa sensibilité à l’accompagnement thérapeutique, l’éleveuse s’est lancée dans la psychothérapie assistée par les ânes. « Je propose des ateliers, encadrés par une équipe médicale ayant pour objectifs d’utiliser l’animal comme un médiateur, un outil vivant apportant une contribution imprévisible, mais dirigée ». Il s’agit d’aller beaucoup plus loin que le simple contact avec l’animal pour les patients (jeunes ou âgés, autistes, handicapés, personnes souffrant de troubles psychotiques…). « Avec les médecins, nous synchronisons nos visions et nos approches afin de déterminer l’objectif à atteindre, les moyens d’y parvenir, la durée à envisager et les moyens d’évaluer la progression » détaille Delphine Danat.

Pour cette activité, il s’est avéré nécessaire de proposer un hébergement à proximité. « C’est ainsi que j’ai créé 5 chambres d’hôtes. Il ne s’agit pas d’une simple activité agritouristique mais d’un prolongement de l’asinothérapie » précise l’éleveuse.

Tous les ateliers du domaine de l’Asinerie Kuleni (élevage, transformation et vente directe, maraîchage, médiation animale et hébergement) sont ainsi imbriqués les uns aux autres. Une nouvelle orientation devrait voir le jour prochainement avec l’arrivée du mari sur l’exploitation avec un projet de passer à 1,5 hectare de culture en arboriculture et maraîchage en forêt-jardin expérimental.

Un élevage tourné vers le bien-être et l’écologie

L’élevage compte actuellement une trentaine d’individus, avec 5 à 10 naissances par an. « Nous vendons des ânes formés au travail et il y a une grosse demande. Nous collaborons avec l’École Nationale des Ânes Maraîchers (ENAM) et France Énergie Animale (FEA), afin de faire progresser l’adhésion des particuliers et des villes dans l’emploi de l’animal pour des activités diverses (transport, maraîchage, attelage, acheminement des poubelles, entretien des plages….), dans le cadre d’une approche éthique entretenant une relation de compagnonnage avec l’animal » détaille Delphine Danat.

Le souci du bien-être animal est omniprésent chez l’éleveuse. « Il faut faire évoluer nos outils, afin qu’ils soient les plus légers possibles et ergonomiques, tant pour l’homme que pour l’animal. Il y a un développement de la traction asine en France, avec parallèlement une préoccupation croissante pour le bien-être animal. Or, il existe très peu de références sur le confort chez l’âne au travail. Nous participons ainsi au programme “coolane” mis en place par l’Inam, l’Institut national asin et mulassier et l’IFCE, l’Institut français du cheval et de l’équitation. C’est un programme de recherche s’appuyant notamment sur la pose de capteurs au niveau des colliers de l’âne afin de déterminer les points de pression et d’inconforts. L’étude porte également sur le suivi cardiaque pour déterminer le besoin de temps de repos. Nous fournissons des données pour ce programme et donnons notre avis sur l’interprétation des résultats et l’établissement de grilles de modélisation de puissance de traction développée ».

Particulièrement adapté pour le travail en maraîchage conduit en agroécologie et permaculture, l’âne catalan s’intègre parfaitement à l’esprit général de Delphine Danat. Membre de la LPO, la Ligue de protection des oiseaux, Delphine Danat juge indispensable de travailler sur la complémentarité entre agriculture et biodiversité. « L’écologie guide mes démarches. Je travaille pour demain. J’ai ainsi installé une station d’épuration d’eaux usées sur le domaine qui assure le retour d’une eau propre à la nature. Mes savons sont certifiés bio et j’œuvre à établir une pharmacopée bio pour l’élevage de mes ânes ».

« Rester juste ! » comme maître-mot

« Il ne serait que justice que de reconnaître officiellement la race de l’âne catalan afin d’essayer de contrer sa possible extinction. Il convient d’agir avec justesse avec ceux avec qui l’on travaille (les ânes bien entendu, mais aussi les stagiaires et salariés). Enfin, vis-à-vis de la nature, notre patrimoine commun, sachons rester juste et raisonnable » conclut Delphine Danat. Toute une éthique et une vision qui placent en équilibre le domaine de l’Asinerie Kuleni entre la conservation du patrimoine et un avenir en phase avec son environnement.

Pour aller plus loin : https://www.kuleni.fr/

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