Voulons-nous du bon ?

Publié le 14 Juin 22

Thierry Marx, parrain des Journées nationales de l’agriculture 2022, rappelle que l’alimentation n’est pas un bien de consommation comme les autres.

“Le monde est un village. Nous l’avions bien compris lorsqu’il s’agissait de tous regarder dans la même direction, la même coupe du monde, au même moment devant nos mêmes écrans. Aujourd’hui avec les événements terribles en Ukraine, nous saisissons aussi que nous faisons tous nos courses au marché du même « village ». Et c’est un vertige pour le consommateur qui comprend que les céréales, les oléagineux, le café, la poudre de lait, le sucre, la viande… tout s’échange sur ce marché.

Et le même consommateur prend conscience que l’agriculture est devenue la variable d’ajustement d’une course folle à la surconsommation. On ne réfléchit qu’en terme de prix. Ce qui est une erreur funeste qui appauvrit tout le monde sauf la grande distribution. Depuis quarante ans, la France a mené une politique uniquement centrée sur le pouvoir d’achat du consommateur qui l’a habitué à vouloir acheter le moins cher possible. Il s’agit de ce Low Cost que je dénonce et que la logorrhée crapuleuse de certains prélats de la grande distribution voudrait nous faire avaler tout rond.

Nous avons perdu de nombreuses filières de fruits et légumes en bombardant de réglementations nos agriculteurs d’un côté, et en voulant acheter moins cher (donc ailleurs) de l’autre. Un exemple du moment : la cerise que beaucoup d’exploitants ont cessé de produire à cause de nombreuses contraintes vient massivement du Chili et brille avec arrogance sous les néons des grandes surfaces.

C’est d’autant plus perturbant que l’alimentation n’est pas un bien de consommation comme les autres. Il y a en ce que l’on mange quelque chose qui nous construit. En cela, c’est bien plus que de la consommation. Et c’est pour cela que nous sommes plus des mangeurs que des consommateurs.
Je crains que d’ici quelques années, il y ait deux mangeurs. Le premier aura les moyens de s’acheter des produits français haut de gamme quand le second sera condamné à ne pouvoir acheter que des produits importés puisque la France n’en produira plus.

Le mieux est parfois l’ennemi du bien et en terme de réglementation agricole, c’est l’évidence. Bien sûr qu’il faut favoriser une production plus vertueuse. Et il est sans doute une initiative et un savoir faire que les pouvoir publics devraient regarder de près. Je pense à la formidable aventure humaine de Bleu, Blanc, Cœur qui regroupe plus de 7000 agriculteurs. Ils ont compris que le temps des changements pour une exploitation se mesurait en années. Que la terre, c’était le temps long. Qu’il fallait accompagner l’agriculteur vers une obligation de résultat plutôt que dans des zig et des zag de contradictions. Et la réussite de cette méthode, aujourd’hui éclatante, nous rend très optimiste.

Enfin, si nous voulons retrouver une indépendance alimentaire nous devons revaloriser le métier d’agriculteur. C’est une question de volonté politique et le bon est aujourd’hui politique. Jean Anthelme Brillat- Savarin l’écrivait bien avant nous dans sa Physiologie du goût en 1825 : « La destinée des nations dépend de la manière dont elles se nourrissent. » Alors, je pose la question : voulons-nous rester la nation du bon ?

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